REGLEMENT POUR LES ECOLES DOMINICALES
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Ce règlement imprimé à Beauvais en 1673, conservé à la bibliothèque Mazarine, prévoit d’instituer au sein des paroisses des assemblées de femmes dont les réunions, chaque dimanche, donneraient lieu, sous la conduite d’une maîtresse, à divers exercices de piété ainsi qu’à une instruction, essentiellement religieuse, dispensée aux petites filles. Ouvrage anonyme, il paraît pourtant répondre à un projet précis, marqué par la personnalité de l’évêque d’alors, Nicolas Choart de Buzenval. Dans l’équipe qui l’aide à diriger son diocèse, on trouve des hommes tels que Charles Walon de Beaupuis, l’un des fondateurs des petites écoles de Port-Royal, et qui n’est peut-être pas étranger au texte en question. L’opuscule est issu des presses d’Étienne Vallet, l’imprimeur habituel de l’évêque.
Sans être exempt de zones d’ombre tenant aux conditions de sa rédaction et à son rapport incertain à une réalité tangible, ce texte est emblématique de l’intérêt que les clercs portent à l’instruction, et en particulier à celle des filles, dans le dernier tiers du XVIIe siècle. Il témoigne à la fois de l’inventivité de cette période en matière d’action charitable des femmes et du fait que le clergé parvient difficilement à imaginer une sociabilité et une activité féminines qui ne soient pas cantonnées à des espaces clos et domestiques. D’autant que le jansénisme qui s’épanouit alors à Beauvais, en ces années de « paix de l’Église », pose avec une acuité nouvelle la question du rapport au monde.
Transcription
Règlement pour les écoles dominicales divisé en douze chapitres, à Beauvais, chez Estienne Vallet, proche sainct Barthélémy, MCD[sic]LXXIII.
Des exercices de l’école dominicale. Chapitre premier.
L’assemblée dominicale sera formée de personnes pieuses, femmes mariées, veuves, jeunes filles, qui se réuniront sous l’auctorité et la conduitte de leur pasteur les dimanches et les festes dans une maison particulière pour s’y occuper saintement après les heures du service public.
Elles partageront le temps de l’assemblée en trois sortes d’exercices, le premier de la prière et chant des cantiques spirituels, le 2. des instructions soit du catéchisme, soit de vertus chrestiennes, soit de la lecture de l’évangile, le 3. en apprenant à lire aux écolières qui se présenteront.
L’on commencera l’assemblée par la prière, elle se fera tout haut pour l’apprendre à toutes les écolières, elle se fera en commun pour leur inspirer le désir de prier toutes ensemble le matin et le soir dans leur famille, on se servira de la prière ordinaire qui sera marquée cy-après pour prendre un même esprit et ne pas charger la mémoire des foibles ; aux prières on adjoutera de temps en temps quelques hymnes et cantiques spirituels pour entretenir la dévotion des filles et les retenir plus de temps à l’école sans les lasser. On leur fera même connoistre que le principal dessein de l’assemblée doit estre la sanctification des dimanches et des festes, que les chrestiens ne doivent pas passer ces saints jours dans un repos oisif et stérile comme les juifs, non pas dans des occupations vaines et dangereuses comme les gens du monde, mais comme les premiers chrestiens dans le prière, dans le chant des cantiques, dans la lecture des bons livres, dans la fréquentation des sacremens, dans la visitte des malades, dans la pratique des vertus chrestiennes : qu’ainsy on doit estre bien aise de passer un temps raisonnable dans la prière et les autres exercices de l’assemblée.
Le second exercice sera dans l’instruction des personnes âgées et jeunes filles. L’on sçait assez qu’il se trouve un très-grand nombre de personnes à la campagne dans l’ignorance des mystères de la religion, que les pasteurs les plus appliqués ont de très grandes peines à leur apprendre la lettre du plus petit catéchisme pour les disposer à la première communion, et qu’en suitte par leur negligence elles oublient en peu de temps, ce que l’on leur avoit appris avec beaucoup de difficulté. C’est une plainte très ordinaire des pasteurs et qui leur a fait tenter différents moyens pour oster cette ignorance de leur paroisse sans y avoir réussy avec tout le succès qu’ils auroient pu souhaitter soit par les catechismes publics, soit par l’establissement des écoles de filles ; l’on a enfin trouvé que le moyen le plus effectif seroit de s’assembler les festes et dimanches et de s’instruire dans des conférences familières où les personnes âgées ne se voyant pas exposées à tout un public, ni les jeunes détournées par leur travail ordinaire et par les considérations humaines pouront apprendre avec plus de facilité.
Le troisiesme exercice consistera à apprendre à lire à celles qui aurons volonté de se faire instruire, ou à perfectionner dans l’usage de la lecture celles qui auroient quelques commencemens. C’est un grand mal que l’on envoye rarement les filles à l’école, et que celles que les parens y envoyent, n’y restent pas un temps suffisant pour apprendre parfaictement à lire ; on les retire de bonne heure, soit par des raisons d’interestz, soit par les dangers qui se trouvent dans la pluspart des paroisses, de laisser les filles dans le mélange avec les garçons, en sorte que le plus grand nombre sortent des écoles avec de foibles commencemens, qui n’estant pas cultivez demeurent inutiles. Il est difficile d’y remedier que par l’établissement des écoles dominicales ou l’on aura soin d’apprendre à lire ou de perfectionner celles qui auront quelques commencemens.
Du choix d’une maistresse pour tenir l’assemblée. Chapitre II.
On choisira entre les personnes de l’assemblée, celle que l’on connoit avoir plus de dispositions, d’humilité, de zèle, d’amour de talens d’esprit et de corps pour une fonction si sainte.
Le choix se fera ordinairement par M. le curé, qui connoit le besoin particulier de son peuple et le mérite de ses filles ; et avant que de le déterminer, il doit consulter Dieu dans la prière pour connoistre sa volonté.
Dans le choix il ne doit considérer ni la chair, ni le sang, ni les raisons d’interests, ni la naissance, mais se dépouiller de toute autre pensée que de plaire à Dieu et donner la maistresse la plus propre pour conduire ses filles.
Il prendra garde que ce soit une personne un peu âgée d’un grand exemple pour sa modestie et son éloignement des divertissemens du monde. Et quand il se trouvera une maistresse d’école sur les lieux qui aura les talens nécessaires, on la poura choisir et même la préférer aux autres à cause qu’elle est déjà dans l’usage et l’exercice de l’instruction.
Du nombre des maistresses. Chapitre III […]
Du lieu des écoles dominicales. Chapitre IV
Pour le lieu de l’école, dans les paroisses où il n’y en a qu’une il faut autant qu’il se poura choisir un lieu proche des églises pour assembler plus facillement les écolières devant et après vespres.
Dans les lieux où il sera nécessaire d’en avoir plusieurs, il faudra partager la paroisse selon les hameaux ou les rues les plus écartées pour une plus grande commodité.
Dans le choix du lieu de l’école il faut prendre des maisons non suspectes de mauvaises hantises, éloignées du bruit, les maisons des femmes veuves ou celles qui sont occupées par des filles dévotes paroissent les plus propres pour y estre en silence et en seureté, pourveu qu’elles soient dans les grandes rues.
Elles seront ouvertes facillement à toutes sortes de personnes du même sexe, filles, femmes mariées, veuves, mêmes aux filles qui ayment le monde quand on jugera qu’elles y pouront profiter.
Quand l’école sera assemblée, les écolières demeureront en silence, modestie et attention à moins qu’elles ne soient interrogées ou obligées de parler pour des subjects nécessaires ; se considérant dans la sale de l’assemblée comme dans une église domestique où Dieu habite au milieu d’elles quand elles sont assemblées en son nom.
Il y aura dans l’école pour rendre le lieu plus vénérable aux enfans, un grand crucifix de papier en taille douce collé sur de la toille que l’on placera dans le lieu le plus éminent de l’école du costé du tabernacle de l’église, afin que les enfans en faisant la prière se tournent du costé du tabernacle, adorant Jesus-Christ et luy adressent leurs prières comme au souverain médiateur entre Dieu et les hommes.
Avec cette image, il seroit bon de placer à costé celle de la sainte Vierge, de saint Joseph, du patron de la paroisse comme les saints protecteurs de l’école, et d’avoir en grand papier les mystères de nostre religion pour les exposer aux yeux des enfans selon la rencontre de leur festes, les images sont les livres de ceux qui ne sçavent pas lire et l’on s’en servira pour le catéchisme, comme il sera marqué dans la suitte.
Le pasteur de la paroisse aura soin de fournir les livres de dévotion comme la vie des saints, Grenade, l’Introduction à la vie dévote, un livre d’Évangile en françois, L’Imitation de Jésus-Christ, les catéchismes nécessaires, les bancs pour garder un plus grand ordre, les livres pour apprendre à lire aux pauvres et les autres choses nécessaires pour les besoins de l’école, considérant que c’est la plus grande aumone qu’il puisse faire à ses ouailles pour lesquelles il ne doit rien ménager puisqu’il est obligé même d’exposer sa vie pour elles.
De la manière de tenir l’école dominicale. Chapitre V
La maistresse recevra avec charité toutes les personnes qui se présenteront pour assister à l’assemblée, elle les priera chacunes de prendre place sur leur banc ordinaire pour conserver l’ordre, sans que l’on affecte la presceance les unes au dessus des autres par esprit de vanité.
En attendant que l’assemblée soit formée, elle entretiendra sainctement les premières venues, en faisant faire la lecture de quelques livres de piété comme Grenade, l’Introduction à la vie dévote, la vie des saints.
Quand elles seront assemblées, elle commencera ou fera commencer par une de leurs assistantes qui aura de la voix, la prière selon qu’elle sera marquée cy après, s’humiliant profondément devant Dieu pour attirer sa miséricorde sur elle et sur toutes ses filles.
Après la prière achevée, si il survient quelques filles, elle les priera de se mettre à genoux du costé de l’église pour invoquer le Saint Esprit et quand elle connoistra quelque mespris ou negligence dans les petites filles, elle demandera doucement la cause du retardement ou de l’absence et les conjurera de se trouver à l’heure désignée, et quand elle connoistra que ces absences sont trop fréquentes et sans cause, elle en advertira le directeur de l’école pour y donner ordre.
Elle tachera de gaigner par elle ou par les autres filles de son école, celles qui semblent s’éloigner des assemblées par honte ou par respect humain. Elle fortifiera par ses paroles et par des témoignages d’amitié chrestienne celles qu’elle connoistra chancelantes ou tièdes, répétant souvent qu’il faut mépriser les discours des hommes si l’on veut plaire à Dieu.
Après que la maistresse aura veu le plus grand nombre de ses écolières arrivé et la prière achevée, elle commencera son école par la répétition des instructions du prosne ou du sermon et dans les jours où il n’y aura pas eu d’instruction publique, elle lira l’Évangile du jour en françois ou la vie d’un sainct, interrompant souvent son discours par des fréquentes interrogations à ses sœurs.
Cette lecture et interrogation ne doit durer qu’un quart d’heure au plus pour ne pas attiédir. Et l’on n’y doit pas dire des choses curieuses ou sçaventes, mais familières et propres à l’estat des personnes ausquelles on parle.
Dans la rencontre de quelques grandes festes des saincts ou de la célébration des mystères de nostre religion, elle previendra le jour et en fera l’explication dans l’école en faisant plusieures [sic] interrogations sur les cironstances du mystères, sur les préparations et les fruicts que l’on en doit tyrer en montrans l’image du mystère comme il sera marqué dans l’article du catéchisme.
Après cette première explication, la maistresse partagera son école en différentes bandes selon les bancs, et les sœurs assistantes prendront sans choix celles qui leur seront confiées pour leur aprendre à lire, la lettre du catéchisme, les prières du matin et du soir, et ce second exercice doit estre considéré comme le plus important de l’école dominicale.
Après ce second exercice pour délasser ses filles et occuper le reste du temps, elle poura chanter quelques hymnes et cantiques spirituels en françois ; elle avertira ses écolières qu’elles ne doivent plus chanter des chansons du monde mais qu’elles doivent à l’exemple des premiers chrestiens chanter des hymnes et des cantiques sprirituels au Seigneur comme l’enseigne l’apostre.
Quand elle aura quelques avis à donner ou à faire quelques remonstrances publiquement, elle ne nommera personne, si elle n’est certaine que ses avis seront reçeus de bonne part et qu’ils serviront à l’édification des autres, mais elle parlera en général ; et si la chose estoit considérable, elle prendre l’avis du directeur de l’école.
Après avoir passé un temps considérable en ces saints exercices, on poura finir selon la ferveur des écolières par la prière du soir, ou l’on ne manquera jamais de faire une pose pour l’examen de conscience afin d’y former les enfans.
La prière estant finie, la maistresse indicquera le jour et l’heure de l’école pour la première feste et congédiera avec douceur ses écolières, leur demandant avec modestie le secours de leurs prières pour un employ si saint.
Si après l’école finie, le temps ou des vespres ou du salut est arrivé, toutes les filles de l’école pouront aller ensemble à l’église en marchant avec modestie et receuïllement [sic].
La manière de faire le catéchisme dans l’école dominicale. Chapitre VI
[…]
Du devoir des écolières de l’école dominicale. Chapitre VII
Toutes les personnes ausquelles Dieu donnera sentiment de venir à l’école dominicale auront soin de s’y préparer auparavant en purifiant leur cœur de l’amour d’eux-même ou de tout respect humain ; et de ne rechercher que leur instruction et leur avancement spirituel.
Elles se porteront un grand respect les unes aux autres, particulièrement à la maistresse et seurs assistantes, recevant leur avis et instructions, comme de celles que Dieu a étably comme leur mère spirituelle par les soins de leur pasteur. Elles luy deffereront en tout pour la conduitte de l’école soit pour interroger les autres ou respondre elles-même, lire, faire la prière, changer de place, chanter des cantiques.
Elles demeureront tout le temps de l’école dans le silence, l’attention, la modestie chrestienne nécessaire, élevant souvent leurs cœurs à Dieu luy disant avec tendresse vous este seigneur le docteur de mon cœur, enseigné-moy les voyes de mon salut.
Elles prendront garde de ne pas rire, ni railler des fautes de leur compagnes, nis de tirer avantage de leur capacité au dessus des autres, considérant que ce n’est pas la science qui nous rend agréables à Dieu mais son amour.
Pour entretenir une plus grande union entre elles, elles s’appelleront dans l’école du nom de sœur, se souvenant qu’elles ont toutes un même Père qui est Dieu, prenant garde de ne pas se tutoyer les unes les autres, ni de se donner des noms de railleries, ni de parler sans modestie.
Elles recevront les avis et remonstrances ou particulières ou publiques avec docilité, les regardans comme des témoignages de charité de la part de leur maistresse, les écolières se pouront aussy donner des avis charitables les unes aux autres et dans les choses importantes, il sera bon de consulter le directeur de l’école.
Elles éviteront d’y parler des affaires du monde, d’habits, de mode, de mariage, des défauts du prochain ; elles auront le même soin de ne pas parler mal à propos des filles qui ne se trouvent pas ou rarement aux écoles, les excusant charitablement autant qu’il se peut, et regardant que c’est une miséricorde particulière de Dieu qu’elles ayent zèle pour en profiter.
Elles garderont un grand silence de tout ce qui se sera passé dans l’école touchant les avis publics et particuliers, principalement quand ces avis regardent les meurs de leurs sœurs, s’aymant toutes en Jesus-Christ et bannissant de leur cœur tout mauvais amour qui produit des jalousies, des envies, des querelles et des médisances.
Comme il faut se comporter envers le directeur de l’école. Chapitre VIII
[…]
Exercice général que la maistresse apprendra aux écolières pour passer chrestiennement la journée. Chapitre IX
[…]
Du chant des cantiques. Chapitre X
[…]
Des saincts du mois. Chapitre XI
[…]
De la prière qui se doit faire au commencement et à la fin de l’école dominicale. Chapitre XII
[…]
Pistes bibliographiques
Anne Bonzon, « Entre le monde et la clôture : un projet pour l’éducation religieuse des filles du peuple », Histoire, Économie & Société, 2005-3, p. 343-353.
Jean Delumeau (dir.), La religion de ma mère. Les femmes et la transmission de la foi, Paris, éd. du Cerf, 1992.
Elizabeth Rapley, Les dévotes. Les femmes et l’Église en France au XVIIe siècle, Montréal, éd.Bellarmin, 1995 [1ere éd. angl. 1990].