RÉGLEMENT D’UNE ÉCOLE LORRAINE (DÉBUT DU XVIIIe SIECLE)

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Présentation

Très tôt, la Lorraine se dote d’un formidable réseau de petites écoles. Il est si dense qu’à la veille de la Révolution presque toute la population est alphabétisée. Les premières petites écoles sont apparues en milieu urbain au XVIe siècle, comme c’est le cas à Épinal. Les campagnes sont touchées plus tardivement, surtout à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, période de reconstruction après la terrible Guerre de trente ans lorraine (1631-1661). Le mouvement est favorisé par les évêques qui, dans leurs statuts synodaux, rappellent aux curés la nécessité d’ouvrir des classes. C’est ce que demande l’évêque de Verdun en 1700, 1707, 1709 et 1750. Celui de Toul exige, en 1717, une école par paroisse. Pour permettre leur installation, le diocèse offre 60 000 livres en 1754. Les prélats peuvent compter sur l’appui de congrégations spécialisées comme celle de Notre-Dame fondée par Alix Leclerc et Pierre Fourier en 1597.

En arrivant dans un village, le maître d’école présente son certificat, puis signe un contrat avec la communauté : pour les laïcs, ce contrat est souvent d’un an renouvelable. Les écoles sont, en général, ouvertes six mois par an, pour quatre heures le matin et deux heures l’après-midi. La profession se structure dans les premières décennies du XVIIIe siècle. En 1725, s’ouvre à Toul un séminaire de maîtres pour former les jeunes laïcs. Tous disposent de méthodes pédagogiques. La plus célèbre est la Méthode familière pour les petites écoles de Toul (1739), écrite par Sébastien Cherrier (1699-1782), curé de Neuville.

Avant ces créations, des prêtres ont donné des règlements des écoles. Un des précis est composé par l’abbé Dominique Gueldé au début du XVIIIe siècle, sans qu’on puisse préciser la date exacte. Né à Paris en 1660, très proche des milieux jansénistes, il fait appel de la bulle Unigenitus et se met sous la protection du cardinal de Noailles. Il est installé à la cure de Trondes (actuel département de Meurthe-et-Moselle) en décembre 1681 ; il y meurt en mars 1731.

Dès son arrivée, il a tout voulu mettre noir sur blanc. Il rédige ainsi les huit articles de l’Ordre des offices et pratiques qui s’observent dans l’église paroissiale de Trondes. Il s’intéresse particulièrement à l’éducation. La première école du village est mentionnée en 1622, mais la guerre de Trente Ans en provoque la fermeture. L’éducation des garçons est quand même effectuée. En 1702, on enregistre 15 baptêmes : 12 parrains signent 3 ne savent pas le faire ; 12 marraines ne signent pas. L’abbé Gueldé fonde alors une école de filles en 1703 et lui donne un règlement en 1715. Les garçons bénéficient d’un maître qui tient classe « des semences à Pâques » selon les termes du contrat signé en 1713 avec François Benoist.

L’abbé Gueldé encadre les maîtres par un règlement de 28 articles. Pour le composer, il s’inspire des ordonnances épiscopales de 1690 et 1695, ainsi que des statuts synodaux de 1678. Le maître n’est pas seulement un pédagogue ; c’est un modèle pour tous les paroissiens et un auxiliaire du curé. Il mène une vie exemplaire. Il enseigne avec douceur et fermeté.

Transcription

Règlement pour les maîtres, par l’abbé Gueldé

Texte reproduit dans François-Jules Demange, Les écoles d’un village toulois au début du XVIIIe siècle, Paris-Nancy, Retaux-Vagner,1892, p. 82-90.

 

Art. I qui comprend les devoirs des Maîtres d’Ecole envers eux-mêmes

  1. Ils auront une grande estime de leur état : ils se persuaderont bien que Dieu demande d’eux plus de vertu que des autres laïques pour se rendre dignes de leur vocation […]

  2. Tous les matins, après la prière ordinaire à laquelle ils ne doivent jamais manquer, ils liront un passage ou un chapitre du Nouveau Testament ou du livre de l’Imitation de Jésus-Christ pour faire quelque réflexion devant Dieu […]

  3. Ils s’appliqueront les fêtes et les dimanches à lire dans quelque bon livre.

  4. Ils se confesseront tous les mois et ne laisseront jamais passer aucune fête solennelle sans approcher du sacrement de l’Eucharistie […]

  5. Ils tâcheront de faire toutes leurs fonctions comme de servir à la sainte messe et à l’administration des sacrements, de chanter l’office divin, enseigner la doctrine chrétienne aux enfants […]

  6. Ils seront modestes en leur habit et maintien extérieur, surtout dans l’église […]

  7. Ils doivent prendre un grand soin de la netteté et décoration de l’église, déplier et resserrer les ornements, s’estimant heureux de pouvoir rendre ces services à l’église […]

  8. Ils s’abstiendront des jeux de hasard et de berlan, des cabarets, des danses, de jouer du violon et autres récréations mondaines et dangereuses, de converser librement avec des filles et femmes, et avec des jeunes gens vicieux et débauchés […]

  9. Ils auront pour le Sr. Curé toute l’affection, soumission et respect qu’ils lui doivent, prenant garde de ne rien faire en public qui y soit contraire.

  10. Ils seront fort sobres en leur boire et manger, retenue en paroles, s’abstenant des jurements, injures, termes sales et déshonnête, éviteront toutes sortes de différends et contestations avec les paroissiens et autres personnes.

  11. Ils éviteront l’oisiveté, s’occupant d’un travail convenable à leur condition, hors le temps qu’ils emploieront à l’école, pour ne pas tomber dans les désordres que la paresse attire ordinairement.

  12. Ils prendront un grand soin de l’éducation chrétienne de leur famille, et feront en sorte de la régler si bien qu’elle serve d’exemple à toute la paroisse.

  13. Comme les Maîtres d’école sont toujours les préfets des congréganistes du Saint Nom de Jésus, ils auront soin d’animer par leurs exemples et leurs paroles les garçons de ladite congrégation […]

 

Art. II qui comprend leurs devoirs envers les écoliers

  1. Ils recevront avec autant d’affection les enfants des pauvres que ceux des riches, et auront un soin particulier de leur instruction.

  2. Au commencement de l’école, ils feront faire aux enfants la prière en commun, à genoux, devant une image dévote […]

  3. Ils les conduiront le soir à la prière.

  4. Ils feront le mercredi et le samedi de chaque semaine ou autres jours, si ceux-ci sont empêchés, le catéchisme moyen et petit.

  5. Ils insinueront souvent à leurs écoliers l’horreur qu’ils doivent avoir du péché mortel, puisqu’un seul pourrait être cause de leur damnation, et tâcheront de leur inspirer la crainte de Dieu, l’honneur qu’ils doivent à leurs parents, et autres vertus qui leur seront recommandables.

  6. Ils prendront garde que les enfants ne servent d’aucun livre qui ne soit bon et approuvé […] Ils ne mettront eux-mêmes pour exemples d’écriture que des sentences de piété et des maximes chrétiennes.

  7. Ils tiendront la main à ce que les enfants soient modestes à l’école, qu’ils étudient leurs leçons, leur assigneront leurs places et feront en sorte qu’ils ne la changent pas.

  8. Ils auront un soin particulier de les accoutumer à lire avec une prononciation distincte, et à bien articuler les mots, principalement dans la récitation de leurs prières, leur faisant dire leurs leçons doucement, sans les presser, lesquelles ils doivent toujours commencer par le signe de croix.

  9. Lorsque leurs écoliers auront commis quelque faute, ils les reprendront avec beaucoup de patience et de douceur, sans leur dire des injures ou les frapper rudement […]

  10. Lorsque leurs écoliers seront à la messe, ou au service, ils veilleront sur eux afin qu’ils ne commettent aucune irrévérence, mais qu’au contraire ils se comportent avec dévotion et modestie […]

  11. Ils leur apprendront à servir dévotement à la sainte messe […]

  12. Ils auront soin qu’ils assistent à la messe de paroisse entièrement et tout à l’office […]

  13. Ils recommanderont pareillement à leurs écoliers d’être modestes et retenus en toute leur conduite, de s’abstenir de la danse, des jeux de carte, d’éviter la débauche et la compagnie des filles […]

  14. Ils s’informeront soigneusement de leur conduite hors de l’école, et s’ils apprennent qu’ils aient donné quelque sujet de plainte, ils en feront le châtiment convenable.

  15. Ils les porteront à se confesser plusieurs fois et leur apprendront les préparations qu’il y faut apporter.

Pistes bibliographiques

Jacques Bombardier, Anne-Marie Lepage (dir.), Pour l’éducation des filles de la campagne, Nancy, Doctrine Chrétienne, 1988, p. 271-302.

François-Jules Demange, Les écoles d’un village toulois au début du XVIIIe siècle, Paris-Nancy, Retaux-Vagner,1892.

Fabienne Henryot, Laurent Jalabert, Philippe Martin (dir.), Atlas de la vie religieuse en Lorraine à l’époque moderne, Metz, Éditions Serpenoise, 2011, p. 134-139.

Philippe Martin, « Éduquer les jeunes Lorrains au XVIIIe siècle », Péristyles, 2005, n° 26, p. 29-38.

Alix Rohan-Chabot, Les écoles de campagne au XVIIIe siècle, thèse, Nancy, 1969.