Projet d’établissement d’école de métiers pour les filles

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Présentation

En l’an VIII (1799), la veuve Acrin soumit au Bureau consultatif des arts et du commerce un projet de nouvel établissement d’écoles de métiers pour les filles1. Son objectif était d’ouvrir six écoles de métiers dans Paris et d’y accueillir 1800 jeunes filles à partir de l’âge de dix ans. Il était prévu que ces apprenties reçoivent une formation à la broderie, à la couture et à la lingerie et soient rémunérées au cours de leur instruction. Ce projet de formation professionnelle, qui se distingue par son caractère ambitieux -1800 ‘élèves’ répartis en six ‘écoles’ comportant chacune trois ‘classes’ -, s’inscrit dans un mouvement de diversification des structures apprentissage et de scolarisation croissante des formations techniques, dans le sillage des écoles de dessin créées dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Bien que cette proposition n’ait pas été mis en œuvre, sans doute parce que des établissements semblables existaient déjà dans certains hôpitaux2, le projet que la veuve Acrin présente un intérêt tout particulier, qui tient au soin apporté au chiffrage du dispositif de formation. Les tableaux présentés en annexe de son projet contiennent ainsi une évaluation précise des avances à engager pour l’organisation de classes spécialisées (achat de matériel et recrutement du corps enseignant), une programmation des dépenses sur deux ans, et les recettes de l’établissement abondées par un prélèvement sur les émoluments touchés par les élèves.

L’intérêt du projet de la veuve Acrin devient encore plus évident quand il est replacé dans un ensemble plus large d’initiatives et de propositions semblables. L’apprentissage des jeunes filles devient en effet une préoccupation croissante des politiques d’assistance au cours de l’Ancien Régime, notamment dans les institutions charitables, comme à la Salpêtrière, où les jeunes filles apprenaient les ouvrages textiles, pour pouvoir se faire employer ensuite comme ouvrières dans des manufactures. Ces structures de formation destinées aux jeunes filles vont ensuite se multiplier à la fin du XVIIIe siècle et au cours des premières années de la Révolution pour leur permettre grâce à cette qualification élémentaire de gagner honnêtement leur subsistance. De tels dispositifs viennent complémenter les ateliers de charité qui accueillent des femmes majeures, qu’elles soient célibataires, mères ou veuves, et dans lesquelles de jeunes filles pouvaient aussi y être admises pour réaliser un apprentissage3. Dans le contexte révolutionnaire, marqué par un accroissement de la précarité en ville, les propositions relatives à de telles structures de formation destinées spécifiquement aux jeunes filles vont se multiplier. En septembre 1791, Marie-Élizabeth-Josèphe Desmazière avait ainsi envisagé la création d’une école d’instruction attachée à une manufacture de dentelles4. En l’an IV, le projet d’Henry Sykes, un industriel anglais propriétaire depuis 1792 d’une manufacture hydraulique à Saint-Remy-sur-Avre, de former des jeunes filles au filature du coton avait obtenu le soutien du ministre de l’Intérieur5. La même année, les citoyens Delaitre et Noël avaient conçu un projet semblable dans leur manufacture située à l’Épine près Arpajou6. Il semble que ces différents projets, comme celui de la veuve Acrin, n’aient pas eu de suite.

Les écoles proposées par la veuve Acrin devaient offrir aux jeunes filles indigentes une formation aux métiers du secteur textile, considérés à l’époque comme les emplois les plus appropriés au sexe féminin. Devaient y être admises des jeunes filles âgées de dix ans pour les former pendant quatre ans. Les jeunes filles ciblées dans les propositions antérieures appartiennent grosso modo à la même tranche d’âge. Le projet de M.-É.-J. Desmazière s’adresse à des filles de cinq à douze ans. Sur les cent filles qu’H. Sykes se proposait d’employer, il était prévu que 80 soient âgées de 9 à 10 ans et 20, âgées de 14 à 15 ans. Quant aux manufacturiers de l’Epine, ils envisageaient de former 120 filles, 50 âgées de 10 à 11 ans et 70 âgées de 12 à 14 ans7. Ces dispositifs avaient donc en commun d’offrir à ces jeunes filles un apprentissage destiné à les prémunir de l’indigence et à prévenir les risques de déviance qui peuvent en découler, tout en profitant pendant les années de formation d’une main d’œuvre bon marché. La distribution des classes dans les écoles conçues par la veuve Acrin permettait en outre de sélectionner les élèves les plus talentueuses pour les orienter vers le métier de brodeuses.

Ce projet d’écoles proposé par la veuve Acrin se révèle particulièrement intéressant car il se situe à la croisée des renouvellements historiographiques actuels sur les dispositifs d’assistance, les structures de formation professionnelle et sur le travail des femmes8.

  • 1

    A.N. F/15/138, Projet d’établissement d’écoles de métiers pour les filles présenté par la citoyenne Acrin, an VIII (1799).

  • 2

    A.N. F/15/138. Avis sur le projet de la Citoyenne Acrin du Bureau consultatif des arts et du commerce (an VIII)

  • 3

    Lisa DiCaprio, The origins of the welfare state: women, work, and the French Revolution. Urbana, University of Illinois Press, 2007

  • 4

    « Mémoire de Marie-Élizabeth-Josèphe Desmazières, femme Houbron, soumettant le plan d’établissement d’une manufacture de dentelles et d’une école d’instruction de petites filles de 5 à 12 ans, pour tenir lieu d’atelier de filature » (21 septembre 1791), cité par A. Tuetey, L’assistance publique à Paris pendant la Révolution: documents inédits, Paris, Imprimerie nationale, 1895, vol. 2, p. 372.

  • 5

    A.N. F/12/13146, Projet de traité pour les cent filles que le citoyen Sykes désire employer dans sa manufacture établie à Saint-Remy-sur-Avre (an IV).

  • 6

    A.N. F/12/13146, Projet de traité pour les cent vingt enfans que les citoyens Delaitre, Noel et Compagnie désirent employer dans leur manufacture établie à l’Épine près Arpajou (an IV).

  • 7

    A.N. F/12/13146, Projet de traité pour les cent vingt enfans que les citoyens Delaitre, Noel et Compagnie désirent employer dans leur manufacture établie à l’Épine près Arpajou,

  • 8

    A.N. F/15/138, Projet d’établissement d’écoles de métiers pour les filles présenté par la citoyenne Acrin, an VIII (1799). En avril 1792, elle avait déjà soumis au Comité d’Instruction publique un mémoire sur les "Écoles des métiers pour les Femmes" (A.N. F/17/1009/C, dossier 2289).

Transcription

Projet d’établissement de la veuve Acrin

Depuis l’établissement de la République, le gouvernement occupé de l’éducation de la jeunesse, n’a rien négligé pour former des hommes dans tous les états, et la génération future présentera aux peuples étonnés et d’autres dans tous les genres, les grands talents que son attention paternelle aura développés.

Mais il paroit savoir pas assez médité sur celle de ce sexe timide, qui cependant en raison de la foiblesse, et des dangers, dont il est sans cesse entouré sembloit appeler la protection la plus prononcée.

Il a restrient l’éducation des filles aux premiers éléments de l’art de parler et d’écrire, et n’a pas prévu qu’en ne lui opposant par des occupations devenues nécessaires pour son existence, ce sexe dans l’âge des passions, et en raison du développement que la lecture auroit donné à son imaginaire, se trouveroit plus exposé à la séduction de l’autre ; et que d’ailleurs l’oisiveté et le besoin le conduiroient nécessairement sur la pente glissante de l’écueil qu’il éviteroit avec peine.

C’est précisément cette classe, nombreuse, et d’autant plus intéressante qu’elle est indigente, qu’il est nécessaire d’arracher à la misère ou de sauver de la corruption. C’est cette classe qu’il faut rendre à la société et dont on doit former des ouvrières utiles et des mères de familles, qui par leur exemple, et leur conduite, puissent communiquer à leurs enfants, les principes de l’honneur et de la vertu.

Pour atteindre ce but, il faudroit procurer à la jeunesse de ce sexe, une éducation plus étendue, conforme au goût de l’élève qui la recevroit, analogue à ses forces, et à son état, et qui puisse par la suitte, lui offrir des moyens de subsistance, et enfin qui ne fut pas onéreuse au gouvernement.

L’établissement que l’on propose réunit tous les avantages ; il fournit à la portion indigente de ce sexe foible et intéressant ; une instruction qui, par ses résultats, l’éloigne des dangers inséparables de l’oisiveté et lui procure pour la vie, un moyen de subsistance, et il offre au gouvernement les moyens non seulement de se couvrir, en très peu de temps, des faibles avances qu’il aura pu faire pour le mettre en activité, mais encore ceux d’étendre ses bienfaits, sur d’autres parties, avec le bénéfice qu’il en retirera.

Cet établissement deviendra une manufacture nationale, ouverte pour le gouvernement et pour le public, par ce qu’on l’y chargera de toutes les commandes, et les ouvrages étant conduits par des gens de l’art, traittés avec intelligence, établis avec soin et à bon compte ils seront considérables et recherchés.

Quand cet établissement ne présenteroit pas un bénéfice certain pour ce gouvernement, et qu’il se couvriroit seulement de ses avances, il n’en résulteroit pas moins un avantage public et sous ce seul rapport il ne peut manquer d’être accueilli par des consuls qui ne négligent rien de ce qui peut contribuer à établir le bonheur général et par des ministres toujours empressés à en activer les moyens.

Mais il est facile de démontrer le bénéfice ; le tableau suivant va en convaincre.

Les écoles pour Paris réuniront 1800 élèves en dix huit classes.

Au bout des deux premières années, les élèves pourront gagner l’un dans l’autre 50 centimes par jour, qui, multipliés par 180, composent un total de neuf cents francs. Cy ….70 900L

Sur laquelle déduisant

1°. 27 000L pour le dixième au profit des élèves par forme de gratification, cy… 27 000

2°. Pour les traitements et entretien de l’établissement lors de la plus grande activité, cinquante mille fcs. 50 000

77 000

Il restera encore un bénéfice annuel au profit du gouvernement de cent quatre vingt treize mille francs, cy … 193 000f

Et les dépenses à faire pour cet établissement ne s’élèveront pas à quatre vingt dix mille francs.

Voir le tableau 4 joint au présent.

Les écoles suffiront à leurs dépenses dès la deuxième année, quand les enfants ne gagneroient alors l’un pour l’autre, que dix centimes par jour, voir le tableau n°5, et le bénéfice, fait la troisième année couvrira le gouvernement de tout ce qu’il aura déboursé la première, et même lui donnera au bout double de ses avances.

Mais dans la supposition que le travail ne rapportât que les deux tiers du bénéfice présumé, et qu’il fallut même pour l’encouragement des élèves leur abandonner un second dixième dans ces bénéfices, une seule année couvriroit le gouvernement de ses avances, puisqu’il retireroit encore malgré ces diminutions quatre vingt dix sept mille francs, annuellement tous frais faits, et il aura de plus préservé dans la révolution de dix années, dix mille jeunes filles de la misère ou de la corruption. Voir le n° 6.

Les élèves apprendroient dans les écoles, 1°. La lingerie, la broderie en blanc, et le raccomodage de la dentelle, 2° la couture, 3° la grande broderie.

On n’admettroit dans cette dernière classe que les élèves qui annonceroient un véritable talent, attendu son extrême importance et que les artistes en ce genre sont réduits à un très petit nombre, et finiront, sous peu, par s’éteindre totalement, ce qui seroit une perte réelle pour l’Etat.

Articles réglementaires

Six écoles seront établies à Paris, chacune d’elles sera divisée en trois classes, la broderie, la couture et la lingerie, qui comprendra le linge, la broderie en blanc et le racomodage de la dentelle, ces trois classes seront réunies dans une même maison sans cependant avoir entrelles aucune communication.

2. Des maisons nationales seront désignées pour recevoir cet établissement dans les faubourgs St Antoine, St Denis, le roule, St Germain, St Marceau et le marais.

3. Chaque classe sera régie par trois institutrices ce qui élèvera leur nombre à 54.

4. Tous les élèves seront instruits sur les mêmes principes de chacune des arts, auxquels on les destinera ; les mœurs y seront scrupuleusement surveillées, et l’activité sera réglée uniformément.

5. Une inspectrice générale ou Directrice, connue par ses talents et sa moralité, visitera au moins trois fois par décade, chaque école, et se fera rendre compte de tout ce qui pourra la concerner

6. Un commis qui lui sera subordonné, tiendra les écritures jusqu’au moment où des détails de recette pourront exiger une administration plus étendue

7. Un seul dessinateur sera attaché à l’école de broderie

8. Chaque élève ne sera admis aux écoles qu’à l’âge de dix ans, à moins que des dispositions précoces ne méritassent une exception en sa faveur. Leur éducation est limittée à quatre ans, cette époque passée, elles pourront rester comme employées à la manufacture.

9. Le nombre des élèves est fixé à cent dans chaque classe, 300 dans chaque école, en tout 1800.

10. La directrice est autorisée à se charger de différentes commandes qui pourront être faites et à traiter, avec ceux qui le présenteront il en sera tenu un registre, neuf dixièmes du prix de ces ouvrages au profit du gouvernement, l’autre dixième aux élèves qui les auront faits.

11. Les écoles de lingerie seront chargées du linge des trouppes, celles de la couture, des hardes de femmes données par les sections aux indigens, et celles de la broderie des réparations à celles appartenant au gouvernement

12. Le gouvernement est chargé des frais d’établissement, d’entretien et des traitements à compter du jour où les écoles seront rendues publiques, d’après les états annexés au présent.

13. La directrice présentera tous les trois mois au préfet, l’état de recette et dépense, relatif à l’établissement, d’après lequel il sera pris telles mesures ultérieures que l’expérience déterminera.

Tel est en substance, le projet que l’on soumet pour le bien public la conçu et une expérience de trente années dans ce genre de travail en fait calculer l’utilité. C’est au surplus du tems que l’on doit attendre la perfection de cet établissement, car il n’en est pas qui n’ait éprouvé dans son exécution des changements ou des réformes partielles.

Pistes bibliographiques

Clare H. Crowston, « L’apprentissage hors des corporations. Les formations professionnelles alternatives à Paris sous l’Ancien Régime », Annales HSS, 60-2, 2005, p. 409-441

Catherine Duprat, Le temps des philanthropes. La philanthropie parisienne des Lumières à la Monarchie de Juillet. Paris, Éd. du CTHS, 1993

Monica Martinat, « Travail et apprentissage des femmes à Lyon au XVIIIe siècle », Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée, n°123-1 (15 avril 2011), p.11-24

Valentina K. Tikoff, Gender and Juvenile Charity, Tradition and Reform: Assistance for Young People in Eighteenth-Century Seville”, Eighteenth-Century Studies, Spring 2008, Vol. 41 Issue 3, p. 308-335

 

[I] Le 10 juin, Démichel confirme cette date au baron et lui indique que Romme et Popo « doivent venir au-devant de nous jusqu’à moitié chemin ». À Dubreul il précise le 18 juin qu’ils « viendront au-devant de nous jusqu’à Basle ».

[II] Nous n’avons pas la lettre de la comtesse du mois d’août : lui proposait-elle à l’instigation du comte de payer les honoraires de Romme ? Ce dernier ne croit point que cette proposition puisse émaner du comte. Ces doutes seront levés lorsqu’il aura reçu la lettre du comte du 10 décembre (648).