LE PROGRAMME DE L’ECOLE MUNICIPALE DE RIEZ (1533)

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Ce type de programme est assez rare et il reste de nombreux actes de ce type à répertorier dans les archives notariales du Midi pour identifier la chronologie et l’étendue de la prise en mains des études latines. Les consulats (laïcs) assuraient depuis fort longtemps la formation des enfants des bourgeois en recrutant un maître d’écriture ou de calcul, lui aussi laïc le plus souvent ; plus au Nord, les écoles paroissiales étaient contrôlées par le clergé. L’intérêt de la décision des syndics de Riez tient dans le saut culturel et probablement ancien qu’il révèle : il s’agit de compléter la formation des futurs marchands du lieu par une initiation à la culture latine et éventuellement d’assurer la poursuite de certains d’entre eux en université de droit, médecine ou même théologie. Ce programme constitue en effet la clé d’entrée en université si l’on en juge par le schéma classique ci-joint de Gregorius Reisch : c’est la grammaire éducatrice qui ouvre à toutes les sciences [gravure]. On trouve un peu partout en France des classes qu’on appellerait aujourd’hui primaire et secondaire réunies dans un collège-universitas, écoles municipales ou non ; mais dans les contrats analogues, qu’on suit dans le Midi depuis le XIVe siècle il est rare que l’on précise le contenu et les méthodes d’enseignement.

En tête des obligations, on trouve l’étude de Cicéron, Virgile et Térence, les trois auteurs qui sont à la base tous les apprentissages de latin, d’Agen à Toulouse et Digne. On remarque cependant que la grammaire passe avant tout, dans l’inventaire présenté des manuels de Donat (les Distiques moraux en vers qui lui sont attribués au Moyen-Âge), Perottus et Despautère, mais aussi Francesco Boccardo di Pilade de Brescia (†v1505) qui se veut une réaction contre Donat ; bien entendu, il n’est pas question d’Érasme… – il est pourtant sur le point de devenir cardinal à la veille de sa mort – ce dernier sera, expurgé, le grand maître de latin des collèges de jésuites fondés après 1560 à partir de ces premières écoles de latin. En une génération elles ont cependant été déconsidérées un peu partout car elles ont trop souvent accueilli des maîtres qualifiés mais hérétiques aux yeux des autorités et tomberont souvent sous contrôle ecclésiastique.

Riez, ville épiscopale, est dotée, avec l’appui de l’évêque, d’une municipalité depuis le XIVe siècle pour assurer les dépenses liées à ses fortifications. Les syndics ici acteurs prendront le nom de consuls vers 1541 et sont assistés d’un conseil. Pendant tout le XVe siècle et jusqu’au milieu du XVIe siècle, l’institution communale a entretenu une école qui recrute un maître au concours. Désormais le maître, recruté chaque année et assez bien payé, devra payer un bachelier puis deux à partir de 1550, l’un pour lire en grammaire et l’autre pour les petits, ce qui porte l’école à trois classes. Il dispose du monopole de l’enseignement dans la ville, un enseignement qui semble gratuit et ouvert aux filles comme aux garçons pour quelque temps encore, tant que ce n’est pas indécent. L’obligation de recruter une maîtresse pour ne pas mélanger les sexes changera la donne dans une ou deux générations, au détriment des filles.

Établir une classe de latin n’a rien alors de surprenant, la plupart des grands collèges humanistes, dont ceux de Toulouse, Agen et Bordeaux ou Rodez sont nés de cette manière. L’intérêt précoce des syndics de Riez pour l’enseignement du latin classique témoigne cependant de l’imprégnation profonde de la culture humaniste dans les vallées alpines. Notre maître vient d’Embrun et donc d’une vallée dauphinoise. Il anticipe le recrutement systématique futur des instituteurs itinérants de tout le Midi, dans les vallées d’Embrun, Die ou Barcelonnette. Dans les générations suivantes, ces vallées montagnardes aux petits diocèses feront de ces métiers d’enseignement élémentaire l’une de leurs spécialités avec le colportage.

L’essentiel pour la formation de l’esprit à Riez est pour les citoyens d’accéder aux « bonnes lettres », ces litterae humaniores qui rendent plus humain. La culture humaniste est un projet éducatif de tout l’être : atteindre non seulement le savoir, l’éloquence et la sagesse mais éduquer le langage et donc la pensée pour faire progresser la communauté elle-même et renforcer l’exemplarité de la cité.

Ecole de Riez
La Grammaire ouvre la porte du réfectoire de la philosophie.
Gregorius Reisch (†1525), Margarita philosophica, Freiburg, 1503.
Ce manuel, la « perle philosophique », sera imprimé tout au long du XVIe siècle et particulièrement répandu [en ligne].

Transcription

Programme de l’école de Riez

AD Alpes de Haute-Provence, Protocole du notaire Honoré de Borna, Riez, 1533, f. 301v-302.

Pacta inter universitatem Regensem et magistrum Gallassium Paschalis de Sedana.

Anno retrodicto et die XV Junii notum facit quod honorabiles viri Marselinus Denjo, sindicus, et M. Andreas Andre, vice sindicus, universitatis Regensis, in executionem ordinis honorabilis consilii Regensis, grati dederunt, contulerunt, scolas dicte universitatis Regensis honorabili viro Mo Galasio Pascalis de Sedana, dioc. Ebredunensi presenti, ad tempus unius anni incipientis in festo Sancti Michaelis proxime venientis et similem diem finiendi.

Item promiserunt dare dicti domini sindici nomine dicte universitatis pro stipendiis et gagis florenos quinquaginta solvendos per quartenos juxta solitam moren.

Et pactaverunt.

  1. Primo quod dictus magister Galasius Pascalis tenetur et debeat docere, instruere bonis moribus et sciencia scolares dicte universitatis et exteros in dicta scola venientes dicto tempore durante.

  2. Item fuit de pacto quod dictus M. Pascalis tenetur legere lectiones :

    1. primo : Ciceronis, Virgilii et Terentii.

    2. Secundo : Pilladis, Perotsi, Spauterii et Cathonis et de hiis fiat repeticio.

  3. Tercio, omni die de mane scolares dicant textum Pilladis, Donnatum, accidentia, regulas, interrogationes et formationes ita quod in fine septimane cuncta dicta fuerint.

  4. Quarto, omni die vespere fiat condictum sive examen construendo et regendo unum versum Cathonis prout moris est.

  5. Sexto [sic], pueri lectiones eorum dicant bis in die mane et vespere.

  6. Setimo [sic], latine loquatur in scola et alibi.

Traduction

Contrat entre la communauté de Riez et maître Galéas Paschal, de Seyne.

L’année susdite [1533] et le 15 juin, il est à savoir que honorables hommes Marcelin Denjo, syndic, et André Andre, vice-syndic de la communauté de Riez, en exécution de la décision de l’honorable conseil de Riez, ont de bon gré donné et remis les écoles de ladite communauté de Riez à honorable homme maître Galéas Paschal, de Seyne, diocèse d’Embrun, présent, pour le temps d’une année commençant à la fête de saint Michel prochaine et à finir semblable jour.

Item, ont promis de donner, lesdits sieurs syndics, au nom de ladite communauté, pour salaires et gages, cinquante florins payables par quarts selon l’usage habituel.

Et ils ont fait accord.

  1. Primo que ledit maître Galéas Paschal est tenu et devra enseigner et instruire dans les bonnes mœurs et la science les écoliers de ladite communauté ainsi que les étrangers venant dans ladite école durant ledit temps.

  2. Item il a été convenu que ledit Me Paschal est tenu de faire étudier :
    1. Premièrement : Cicéron, Virgile et Térence.
    2. Deuxièmement : Pilade, Perotti, Despautère, Caton, et d’en faire répétition.
  3. Tercio, tous les matins, les écoliers diront un texte de Pilade, le Donat, les cas, les règles, les questions et les déclinaisons, de telle sorte qu’à la fin de la semaine, ils les aient dits en entier.

  4. Quarto, tous les après-midis, ils feront un contrôle ou examen, en construisant et organisant un vers de Caton, selon l’usage.

  5. Sexto [sic] les enfants réciteront leurs leçons deux fois par jour, matin et après-midi.

  6. Setimo [sic] on parlera latin à l’école et ailleurs.

Pistes bibliographiques

Publié en latin et commenté par Élisabeth Pellegrin, « Le programme de l’école municipale de Riez en 1533 » dans, Provence historique, t. 6, 1956, p. 208-209. Cité par Marc Venard dans Histoire de l’enseignement et de l’éducation, t. II, p. 328-329.

François Lebrun, Marc Venard, Jean Quéniart, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, t. 2, De Gutenberg aux Lumières, Paris, Perrin, « Tempus », 2003, p.169-183, 239-302 et 325-339.

Et pour comparer :

Jules Arnoux, Collège et lycée de Digne : étude historique, Digne, 1888, p. 9-18.

Louis Massebieau, Schola Aquitanica, programme d’études du collège de Guyenne au XVIe siècle, Paris, 1886, XVI-77 p.

Raoul Busquet, Étude historique sur le collège de Fortet (1394-1764), Paris, 1907.